C’est pratiquement une tautologie que de dire que le conflit est inhérent à toutes relations humaines. Que ce soit au sein d’une organisation, d'un groupe, d’une communauté, d’une société, d’une nation ou entre les nations, nous sommes quotidiennement témoins de ces conflits à travers l’actualité (conflits armés, conflits politiques, conflits syndicaux, procès, prud’hommes), témoins mais aussi acteurs avec nos supérieurs, nos subordonnés, nos voisins (conflits de pouvoir, d’intérêt, de voisinage) jusque dans notre vie privée, au centre de laquelle, le couple qui n’échappe bien évidemment pas à la règle.

N’avoir aucune idée sur ce qu’est réellement un conflit, ne pas comprendre ses causes, sa nature, ses enjeux, ses mécanismes, ne pas connaître les moyens de le gérer, l’attitude à adopter, c’est potentiellement s’exposer à voir la relation dégénérer à la première anicroche. Essayer de résoudre des conflits sans y avoir été préparé est aussi stupide que de plonger dans une piscine sans avoir appris à nager. Dans les deux cas, le résultat est identique, avec un peu de chance on s'en sort, et la plupart du temps on se noie. Ayez conscience que nous ne sommes pas "naturellement" prédisposés à gérer les conflits et l'improvisation dans ce domaine mène le plus souvent à l'échec.

C’est pourquoi je voudrais aujourd’hui analyser soigneusement ce qu’est un conflit et souligner les points essentiels qui, je l’espère, vous permettrons de mieux l'aborder et le gérer lorsque vous serez amené à y faire face. Car si le conflit est inévitable (à plus ou moins brève échéance), les répercussions négatives peuvent, elles, être évitées si on possède la connaissance, les outils et bien sûr la volonté d’apaisement.

Pour se faire, je commencerai par délimiter le sujet, définir ce qu’est un conflit, les attitudes et les méthodes pour le résoudre et vous proposerai l’analyse d’un cas concret de conflit vécu par un couple d’amis cet été dont j’ai été témoin et accessoirement le conseiller.


AVANT-PROPOS : LIMITES DU SUJET

Même si dans ce billet il m’arrivera d’évoquer à titre d’exemples ou de paraboles, des conflits qui ne concernent pas spécifiquement le couple, le sujet sera circonscrit aux relations interindividuelles à l’intérieur du couple, les relations liant deux personnes amoureuses différants sensiblement des relations interpersonnelles au sein de groupes plus larges de part leur nature et les intérêts.

Ensuite, je traiterai des conflits ne concernant que les couples sains. J’entends pas là, les couples dont les liens sont basés sur l’amour et le respect et non sur la domination de l’un par l’autre ou la manipulation.

En effet, tout ce que je vais évoquer dans ce qui va suivre ne s’applique pas au faible pourcentage de couples dont l’un des membre est un manipulateur pervers narcissique ou un psychopathe, ces personnes sans aucun sens moral, qui cherchent sciemment à faire du mal à celle ou à celui qu’ils prétendent aimer, voire même en y prenant du plaisir et pour qui le conflit n’est, en définitive, qu’un outil supplémentaire pour déstabiliser l’autre, un instrument pour asseoir un peu plus leur domination. Il y aurait beaucoup à écrire sur ce type de personnes et sur les relations qu’elles entretiennent avec leur partenaire (victime) mais ça n’est pas la question du jour et fera éventuellement l’objet d’une réflexion ultérieure tant ce sujet est vaste.

Si je prends soin de faire cette distinction entre couples "sains" et "malsains" c’est parce que les mécanismes de conflits et de résolution que je vais exposer ne peuvent s’appliquer et donner des résultats que lorsque les deux parties sont motivées par des sentiments positifs réels et la volonté sincère de trouver une issue pour le bien commun.

Donc, pour être très clair, tout ce que je vais écrire à partir de maintenant ne vaut que pour les couples “normaux” c’est à dire où, à priori, même s’il y a conflit, les protagonistes s’aiment sincèrement et ne font jamais EXPRÈS de faire de mal à l’autre, de le blesser, et encore moins le rabaisser, l’humilier, le dominer, le manipuler.



I - QU'EST-CE QU'UN CONFLIT ?


A - Définition

Étymologiquement, du latin confligere, qui veut dire “lutter”, le conflit est, dans son acception la plus courante, synonyme de désaccord, de dispute. Il est le plus souvent inter-personnel, c’est à dire qu’il se manifeste par l’affrontement d’au moins deux individus (même s’il peut exister des conflits psychiques au sein d’une même personne, conflits intra-personnels) chacun luttant pour défendre, par rapport à un objectif commun, des positions contradictoires ou incompatibles ou bien, au contraire, cherchant à faire valoir des opinions ou des intérêts divergeants.

Ce qui caractérise le conflit par rapport au débat ou à la confrontation d’idées c’est que, dans le conflit, l’échange se fait sans jamais réellement tenir compte de la position adverse, et ce, de façon hostile, voire agressive ou violente (par les mots ou les actes), chacun restant sur sa position dans le but d’imposer sa volonté à l’autre, persuadé d’avoir raison.

Bien sûr, il existe des conflits autres qu’inter-personnels. Conflits entre les membres d’un même groupe (communauté, parti politique, syndicat) ou entre des groupes (syndicat-patronat, gay-hétéro, sunnites-shiites, parti majoritaire-opposition, etc...) que nous n’aborderons pas ici mais qui procèdent des mêmes mécanismes.


B - Attitudes possibles face au conflit

Devant un conflit il n’y a pas cent attitudes possibles mais simplement quatre :

a) La fuite / l’évitement

Cette attitude permet en effet d’éteindre le conflit puisque, si les parties ne sont plus en présence, l’affrontement est par essence impossible. En apparence cette attitude semble résoudre le conflit en cela qu'elle laisse le champ libre à une des parties qui se retrouve dès lors sans opposition mais en réalité elle ne résout rien du tout puisque le problème à l’origine du conflit existe toujours, n’ayant été en aucune manière concrètement résolu. Il n'est pas non plus près de l'être puisque la fuite implique la rupture de toute communication.

b) La soumission / la résignation / l’apaisement

Accepter de se soumettre à la “raison de l’autre” permet clairement d’éteindre la dispute à condition de sincèrement accepter cette raison. Si ça n'est pas le cas, il ne s’agit alors que d’une autre forme de fuite (déguisée). Cette attitude est meilleure que la fuite puisqu’elle ne rompt pas la communication mais, si des griefs restent en suspend, le conflit n’est pas éteint mais simplement en sommeil et rien ne dit qu’il ne réapparaitra pas plus tard et de façon plus virulente encore.

c) La confrontation pacifique / le dialogue / la communication

Bien évidemment cette attitude est à privilégier quand elle est possible et c’est celle sur laquelle nous nous arrêterons dans ce billet. Elle a l’avantage de permettre aux parties de s’entendre, de conserver des rapports satisfaisants, d’éviter la violence et les dommages collatéraux qui en résultent fatalement. Cependant, c’est une attitude qui ne s’improvise pas si l’on souhaite aboutir à une résolution viable pour tous et pérenne dans le temps.

d) L’affrontement / la révolte / la recherche de domination

En d'autres mots, la guerre. C’est une attitude parfois inévitable lorsqu’il est impossible de s’entendre, que l’enjeu est très important, voire vital, que la soumission ou la fuite ne sont pas des options acceptables (luttes de pouvoir, de territoire, garde des enfants, défense de libertés fondamentales, etc...) mais cela ne doit, à mon sens, jamais être l’option de première intention pour résoudre un conflit. Cela est d’autant plus vrai que cette attitude risque d’altérer à jamais les relations avec l’autre partie et cette rancoeur peut être à l’origine de nouveaux conflits (exemple célèbre, l’Allemagne écrasée à la fin de la première guerre mondiale fut aussi celle qui déclencha la seconde).

Dans le cadre d’une relation amoureuse, tant la fuite que la révolte sont des attitudes à bannir dans la mesure où elles impliquent d’emblée la fin momentanée ou permanente de la relation. Ne reste que la soumission ou la confrontation pacifique comme attitudes viables. Je ne m’étendrai pas sur la soumission car je n’ai jamais considéré une relation amoureuse saine et équilibrée comme un rapport de force entre un dominant et un dominé, un maitre et un soumis.

Qu’en est-il alors de la seule option digne d’intérêt pour espérer résoudre un conflit de couple : la confrontation pacifique par le dialogue et la communication



II - COMMENT RESOUDRE UN CONFLIT ?


Pour espérer résoudre un conflit, quel qu’il soit (donc ceci ne vaut pas seulement pour les conflits amoureux) il faut procéder par ordre et s’intéresser à des points fondamentaux.

1) Définir la nature du conflit.

Est-ce un conflit de situation, c’est à dire un conflit lié à un problème né d’une situation particulière (fait, attitude, opinion, action ponctuelle, malentendu, etc...) ou bien un conflit de personne, c'est à dire lié quelqu'un en particulier (incompatibilité totale), par exemple je ne m’entends pas du tout avec mon collègue dont je ne supporte pas la personnalité et/ou le caractère et c’est cette mésentente/antipathie qui est à l’origine de toutes nos “prises de tête” et non une situation en particulier. De la nature du conflit dépend l'angle d'attaque pour le résoudre.

Cependant, dans le cadre d’une relation amoureuse, la nature du conflit est généralement une situation car s’il s’agissait d’une incompatibilité totale avec l’autre on ne serait à priori déjà plus avec la personne. Ce point ci n’a donc pas vraiment besoin de développement. Cela dit il n'est jamais inutile de se poser la question car les conflits naissent parfois simplement parce que les deux parties ne se supportent plus mais restent ensemble pour de mauvaises raisons.

2) Identifier les acteurs du conflit.

Dans le cadre de la relation amoureuse, c’est très simple, les acteurs sont justement soi-même et l’autre même si des tiers peuvent avoir un rapport avec le confit. Aucun besoin de s’étendre sur ce point.

3) Repérer l’élément déclencheur du conflit et sa raison.

Votre partenaire se met à piquer une crise parce que vous aviez dit que vous débarqueriez à 20h00 et finalement, vous êtes arrivé à 21h30 sans prévenir du retard, le repas est froid. L’élément déclencheur du conflit est le retard ou le repas gâché mais l’origine et les causes du conflit sont en réalité souvent plus profondes. En creusant on va par exemple s’apercevoir que le problème “réel” c’est la sensation qu’à l’autre qu’il (elle) ne compte pas pour vous, vos oublis de prévenir de retards étant ressentis par l'autre comme de l'indifférence à son égard. Bref, l’élément déclencheur s’apparente à la goutte d’eau qui fait déborder le vase.

Il ne faut pas faire l’amalgame entre élément déclencheur et origine (cause réelle) du conflit. C’est une erreur commune de confondre l’un avec l’autre et cette méprise mène rapidement au malentendu ou à l’incommunicabilité.

Il est essentiel de reconnaitre la goutte mais plus essentiel encore de s’intéresser au contenu du vase c’est à dire l’origine, les causes.

3) Mettre au jour l’origine et les causes du conflit.

Identifier les raisons profondes qui sous-tendent le conflit est évidemment un point essentiel. Ces raisons peuvent être évidentes mais aussi avoir été longtemps dissimulées ou être simplement invisibles aux yeux de l’un ou de l’autre. L’origine peut parfois remonter à très loin et cela demande des efforts pour arriver jusqu’à elle. Parfois les protagonistes n’en sont même pas vraiment conscients eux-même. Là encore, je rappelle qu’il ne faut pas confondre élément déclencheur et origine du problème, l’arbre qui cache la forêt avec la forêt, la goutte d’eau avec l’eau du vase. En outre il est impératif d’éviter de ne s’attaquer qu’aux symptômes en oubliant d’identifier la maladie qui les a provoqué (ou de confondre symptômes avec maladie) sans quoi le conflit semblera peut-être résolu mais en réalité il ne le sera pas et quand il refera surface ce sera encore pire.

4) Identifier les personnes pouvant avoir une incidence positive et négative sur le conflit.

C’est un point important même s’il n’est pas crucial. En effet, même dans un conflit inter-individuel comme un conflit de couple, il n’est pas rare que d’autres protagonistes soient impliqués de façon plus ou moins directe ou puissent avoir une influence positive ou négative sur la résolution. Si ces personnes existent, il est important de les identifier correctement afin de les mettre à profit ou au contraire de les tenir à l'écart. Cela peut être des amis, des rivaux, ses propres enfants, la famille, la belle famille ou même des personnes étrangères au couple. En repérant ces acteurs on peut s’entourer et solliciter le soutien de ceux qui ont été identifiés comme ayant une influence positive pour accélérer la résolution et éloigner, se méfier de ceux qui auront été identifiés comme ayant une influence négative pour éviter qu’ils n’enveniment la situation. Si ce travail d’identification n’est pas fait, on risque de ralentir le processus de résolution, voire même de l’annihiler. Que se passerait-il si, après tant d’effort pour parvenir à une solution, quelqu’un de mal intentionné et de non identifié comme un “acteur négatif”, influence négativement un des protagonistes en lui glissant à l’oreille que cette solution n’est pas satisfaisante. Il sape tout bonnement le travail positif effectué en premier lieu pour résoudre le conflit et tout est à refaire.

5) Chercher à connaître les perceptions des protagonistes.

Deux personnes qui s’aiment sainement ne cherchent certainement pas à se faire volontairement du mal ou à pourrir exprès une relation. En conséquence, si un conflit naît, cela ne peut pas être du à la volonté de nuire sciemment, ou de s’opposer coûte que coûte à l’autre. Le but commun étant l’harmonie dans le couple, les conflits ne naissent le plus souvent que de perceptions divergentes d’une même situation. Ce sont ces différences de perception qui sont fréquemment à l’origine de malentendus, de ressentiments, d’interprétations et au final, de conflits. C’est d’autant plus vrai que les sensibilités de chacun d’entre nous sont différentes de celles d’autrui, à fortiori lorsqu’on n’est pas du même sexe.

C’est sans doute le point le plus déterminant en ce qui concerne la résolution des conflits de couple et il mérite qu’on s’y arrête.



III - SAISIR LA PERCEPTION DE L’AUTRE : L’EMPATHIE


Si nous étions tous faits sur le même moule, avions tous reçu la même éducation, avions la même sensibilité, vécu les mêmes expériences et connu la même histoire, bref, si nos personnalités étaient jumelles, nous n’aurions jamais besoin de nous poser de question. Puisque je suis identique à l’autre, ce que j'exprime, l'autre le comprends aussi, ce que j’aime il l’aime aussi, ce qui m’attriste, l’attriste aussi, etc... Seulement voilà, nous sommes uniques ! Ce qui vaut pour moi, ne vaut pas forcément pour l’autre, même si cet autre est très compatible avec moi, même si globalement nous nous entendons très bien, même s'il m'aime.

Hommes et femmes ne s’expriment ni n’expriment leur sentiments ou leurs émotions de la même façon et n’ont clairement ni la même sensibilité, ni des perceptions identiques d’une même situation (cf le best seller de John Gray -Les hommes viennent de Mars et les femmes de Venus- pour ne pas le citer). Je pense que ces affirmations sonnent aujourd’hui comme des évidences pour la plupart d’entre-nous. Sachant cela, il est impératif, lors de la survenue d’un conflit, de comprendre comment l’autre perçoit la situation car c’est justement de la discordance des perceptions (et des malentendus qui s’en suivent) que proviennent les difficultés à résoudre les conflits.

La capacité, l’aptitude psychologique à comprendre les ressentis d’autrui, à partager les émotions de l’autre sans pour autant avoir besoin de les ressentir soi-même, est ce qu’on appelle l’empathie.

Notons dès à présent la différence entre empathie et compassion, sympathie ou contagion émotionnelle. Dans ces derniers cas, l’état affectif de l’autre modifie ou influe directement sur nos propres émotions. Dans la compassion par exemple (étymologiquement - souffrir avec l'autre), nous ne faisons pas que comprendre la peine de l’autre mais nous en sommes aussi touchés (j’éprouve moi-même de la peine devant la peine de l'autre même si cet autre m’est étranger), dans la contagion émotionnelle, l’état affectif de l’autre déteint sur notre propre état (l’autre se met à rire et cela provoque irrésistiblement chez nous le même fou-rire). L’empathie ne nécessite pas qu’on ressente quoi que ce soit mais juste qu’on comprenne le ressenti de l’autre. Cela signifie qu’à la différence de la contagion émotionnelle, de la compassion ou de la sympathie, cette compréhension du ressenti de l’autre ne s’impose pas forcément à nous et demande un effort conscient et volontaire. Le point positif par contre c’est que même si naturellement nous ne sommes pas forcément super réceptif aux émotions d’autrui, l’empathie n’étant pas une aptitude “émotionnelle” mais plutôt une démarche volontaire, elle peut parfaitement s’acquérir.

Il est évident que lorsqu’on parvient à se “mettre à la place” de l’autre on a toutes les chances de mieux comprendre ses réactions et y apporter une réponse satisfaisante.

Je vois une personne aveugle chercher son chemin, je ne suis pas moi-même aveugle et ne peut ressentir ce que cette personne ressent, néanmoins je n’ai pas de peine à imaginer ce que cela doit être. Je me mets à sa place par empathie et me porte à son aide.

Si maintenant je n’ai aucune idée de ce que peut ressentir l’autre dans une situation donnée (parce que je n'imagine pas une seconde qu'elle puisse ressentir autre chose que ce que je ressens moi-même dans cette situation ou que je ne me pose même pas la question), comment alors comprendre son point de vue ?

Imaginons la situation suivante : quelqu'un d'un peu corpulent fait tout un cinéma pour se changer dans une cabine d’essayage et ralenti tous les gens qui attendent leur tour pour essayer des vêtements. Ce que j'ignore c'est que la personne en question vit mal cette situation d’essayage car elle est très complexée et prend en réalité 10 000 précautions pour que nul ne puisse la voir même légèrement dévêtue. N’ayant moi même aucun complexe particulier, ce que je perçois c’est simplement quelqu’un qui prend son temps en se foutant complètement de ceux qui, comme moi, attendent. Je me mets à engueuler cette personne pour qu'elle s'active, elle m’engueule à son tour --> Conflit. Si j'étais moi-même complexé il est probable que l'idée m'aurait "naturellement" traversé l'esprit, de même si j'avais fait preuve d'empathie par la réflexion, j'aurais sans doute compris le problème, me serais montré plus tolérant et aurais évité le conflit.

Il y a des situations où (à moins d’être psychopathe, c’est à dire totalement narcissique et pathologiquement incapable d’empathie) il est évident qu’on comprend naturellement la douleur, les sentiments, le ressenti de l’autre, mais il existe aussi bien des situations où cette douleur nous est étrangère, inconnue et où cela demande un effort volontaire d’apprentissage, de réflexion ou/et de communication pour y parvenir. Contrairement à la sympathie qui est spontanée et, par définition, ne se décide pas (on ne peut pas décider que quelqu’un nous est sympathique, il l’est ou pas), comme je le soulignais un peu plus haut dans ce chapitre, on peut parfaitement décider de chercher à comprendre le ressenti d’autrui de façon consciente et volontaire si ce processus n’est pas “naturel” chez soi au départ. En cela, l’empathie peut être considérée comme une pratique, une technique, un outil dans les relations interindividuelles, dont le maniement peut être enseigné et appris.



IV - CAS CONCRET DE CONFLIT


L’histoire que je vais vous narrer maintenant a réellement eu lieu cet été et me semble très intéressante dans la mesure où elle démontre que le manque d’empathie est la clé du problème.

Par discrétion j’ai volontairement changé les prénoms des protagonistes et les lieux mais en dehors de cela, tout est parfaitement conforme à la réalité.

Contexte :
David, 46 ans, banquier Genevois, est en couple avec Chloé depuis 4 ans, auparavant il a été marié 20 ans et 2 filles sont nées de cette première union. Elles ont aujourd’hui 7 et 11 ans.

Chloé à 41 ans, vit en Hollande. Elle est séparée d’un homme avec qui elle a passé 15 ans et n’a pas d’enfant.

David et Chloé se sont rencontrés il y a 4 ans en Espagne, sur le lieu de villégiature de David et ce fut pratiquement le coup de foudre. Il y a 2 ans, ils ont tous deux décidé de quitter leurs conjoints respectifs pour vivre pleinement leur histoire.

Le divorce est compliqué du coté de David car son ex-femme lui fait la guerre pour des questions d’argent et Sarah, l’ainée de ses deux filles vit très mal ce conflit, au point qu’elle fait (entre autres) régulièrement des crises de nerfs au moment du couché. Enfin, pour des questions familiales et professionnelles David et Chloé n’ont pas encore pu emménager ensemble donc le moment des vacances est, chaque année, particulièrement attendu par l’un comme par l’autre pour se retrouver et passer une longue période sans séparation.

Elément déclencheur :
Durant les vacances en Espagne, un mois dans sa résidence secondaire, David a la garde de ses filles et, afin de ne pas avoir à être en permanence “coincé” par ses obligations parentales, dégager un peu de temps en solo avec Chloé, il engage une “nounou” chaque été pour l’aider à s’occuper de ses deux filles en journées mais surtout en soirées. L’année passée un problème familial a obligé la jeune fille au pair à démissionner en début de séjour (son père a eu un accident) ce qui a un peu contrarié tout le monde et bousculé le planning, les filles de David, turbulentes, nécessitant beaucoup d’attentions, particulièrement en cette période de divorce, le couple a été contraint de "sacrifier" un peu de leur moments à deux.

Manque de chance, cette année aussi la nouvelle nounou a décidé de démissionner du jour au lendemain peu après leur arrivée à Barcelone, tout simplement à cause du caractère des deux filles, surtout de la plus grande, très perturbée, qui se montre agressive, insultante et difficile à contrôler (sauf quand c’est David qui s’en occupe).

A cause de ce nouveau départ de nounou, et ayant encore en mémoire les vacances à moitié ratées de l’année précédente à cause d’une situation similaire, le stress s’empare rapidement du couple. De plus, la veille du conflit, David s’était couché tard et avait mal dormi suite à l’annonce de départ de la nounou, s’était levé aux aurores pour la conduire à l’aéroport, bref, était fatigué toute la journée. Lorsqu’en fin de journée, Sarah pique une nouvelle crise de nerf au moment du couché, Chloé “pète les plombs” et crie encore plus fort pour obliger la gamine à se coucher.

Conflit :
David, fatigué, sur les nerfs, ne réfléchit pas, prend la défense de sa fille, reproche à Chloé de mettre de l’huile sur le feu et de ne pas le soutenir dans un moment particulièrement difficile pour lui aussi. À l’issue de cette dispute, Chloé menace de partir. David s’emporte à son tour et ne la retient pas. Chloé claque la porte en disant qu’elle préfère encore écourter ses vacances plutôt que de supporter les humeurs de Sarah et les reproches de David.

Perception de la situation selon David :
Incompréhension et sentiment d’injustice. Par amour pour Chloé il a rompu avec sa femme, avec tous les problèmes que cela engendre tant au niveau matériel (pour lui) que familial et psychologique (pour ses filles), il a fait de gros sacrifices financiers pour que sont ex-femme arrête de lui faire la guerre, il fait son maximum pour assumer son rôle de père parallèlement à son rôle d’amant. Il n’est pas responsable des démissions des nounous qui empoisonnent ses vacances et sa relation avec Chloé. Il se retrouve seul devant les problèmes quand il espérerait le soutien de celle qui est censée, en tant que compagne, le soutenir dans ces moments difficiles plutôt que de lui claquer la porte au nez. Il en veut à Chloé de “démissionner” en quelque sorte elle aussi et en vient presque à se demander si elle l’aime vraiment.

C’est vrai que du seul point de vue de David l’analyse semble assez juste et, dans les faits, il est vrai aussi que Chloé l’a laissé tomber au pire moment. C’est elle qui est en tort selon lui et il ne voit pas en quoi et pourquoi il s’excuserait d’une situation dont il n’est pas responsable. D’un autre côté il aime sincèrement Chloé et ne sait pas comment faire pour la récupérer.

Bilan :
Chloé va repartir en Hollande dans 48 heures, n’est même pas encore passée reprendre ses affaires chez David car pour le moment, elle ne veut plus le voir. Elle loge provisoirement chez un ami. David est totalement désemparé, il se sent abandonné, ses vacances sont foutues et il s’est violemment disputé avec la femme qu’il aime. Il ne sait que faire dans une situation qui lui échappe. Sa fille est incontrôlable quand il n’est pas là et impossible de trouver au pied levé une remplaçante à la nounou. Il se retrouve dans une voie sans issue, coincé et malheureux.
Pas question de fuir, cela ruinerait toutes les chances de réconciliation par rupture total de dialogue, plus question de se faire des reproches, la guerre n’est pas la solution, pas question non plus de se soumettre, dans l’esprit de David il n’a rien fait de mal et est autant victime de cette situation que Chloé. Le conflit semble insoluble.

Que faire ?

L’erreur dans l’analyse de David est à deux niveaux. D’une part il ne voit comme source du conflit que l’élément déclencheur (démission de la nounou + crises de nerfs de Sarah que Chloé ne supporte plus) sans percevoir la raison profonde du conflit. D’autre part, pas une seconde il n’a cherché à se mettre à la place de sa compagne, à essayer de comprendre comment elle, Chloé aurait pu percevoir cette situation. Sans ces deux éléments, il est clairement impossible de trouver une issue favorable à ce conflit.

C’est alors que je suis intervenu. En définitive David a trouvé en moi (par hasard car nous ne nous étions pas vu depuis plusieurs années) un acteur pouvant avoir une incidence positive dans la résolution du conflit grâce à mon expérience et mes conseils. Je décide donc de l’aider.

Mise à plat :
Dans un premier temps je lui pose quelques questions sur la nature du conflit. Résulte-t-il d’un problème de personne ou de situation ? Je demande donc à David de me confirmer, qu’à l’exception du problème évoqué, les relations qu’il entretient avec Chloé sont bonnes. Il me confirme qu’ils s’aiment énormément, qu’ils s’entendent à merveille, qu’ils ont une véritable complicité et que Chloé est une personne douce, gentille et aimante. A priori donc, le conflit n’est pas du à une incompatibilité de personnes ou à de la désaffection. C’est une bonne nouvelle car cela veut dire que les protagonistes n’ont pas cherchés volontairement à mettre un terme à la relation mais que c'est bien la situation qui les a poussé à la rupture (momentanée). Le conflit est donc strictement du à une situation mal gérée. Rien n’est perdu !

Nous connaissons l’élément déclencheur et la nature du conflit, le travail suivant consiste à présent à déterminer l’origine du conflit et comme je l’ai déjà écrit, celle-ci est souvent à rechercher bien plus loin dans le temps. En discutant un peu il n’a pas été difficile de trouver la cause de tout cela.

Causes réelles du conflit :
En l’occurrence c’est l’accumulation du stress vécu par Chloé et David, non pas juste pendant ces vacances mais depuis qu’ils ont décidés de se séparer de leurs conjoints respectifs.

Chloé est associée dans une affaire avec son ex-mari ce qui rend la séparation difficile car aux problèmes de couple s‘ajoutent pour elle le problème professionnel. Elle est obligée de ménager son ex-mari avec qui elle travaille toujours pour que la fin de leur mariage ne signe pas non plus la fin de leur entreprise. Pour David, les conflits à l’issue du divorce avec sa femme ainsi que le retentissement psychologique sur ses filles sont aussi de grandes sources de stress. Lui non plus, n’a pu quitter la Suisse jusqu’à présent dans la mesure où il n’aurait plus pu voir ses filles qui ont grand besoin de lui et qu’il aime plus que tout. Bref, pour le moment, l’un comme l’autre n’ont eu d’autres choix que d’encaisser ce stress et tant que les divorces ne seront pas prononcés, tant que les affaires ne seront pas réglés, il n’y a pas grand chose qu’ils puissent faire malgré la meilleure volonté du monde.

Voilà quel est l’origine du problème et ce à quoi il va falloir s’attaquer.

Second travail, sujet principal de ce chapitre et sans doute la clé pour résoudre le conflit, comprendre la perception de l’autre et le cas échéant lui faire comprendre notre perception. Exercer l’empathie.

David a reproché à Chloé de ne pas lui apporter son soutien alors qu’il en avait besoin, en gros, il lui reproche de ne pas s’impliquer assez, de le laisser affronter les problèmes seul. Il y a de fortes chances que Sarah voient les choses d’une toute autre façon.

Je n’ai pas eu le loisir de m’entretenir avec Chloé que je connais peu (j’étais surtout ami avec David et son ex-femme) mais, connaissant un peu les femmes et le contexte, je peux sans peine imaginer comment Chloé a pu percevoir la situation.

Probable perception de Chloé devant la situation :
J’aime David au point d’avoir quitté mon mari, d’avoir mis en danger ma situation professionnelle, je me suis impliqué dans ses problèmes à lui en acceptant de m’occuper de ses enfants quand ils sont avec nous, en ne lui demandant jamais de me privilégier par rapport à eux. Malgré tout le stress que j’accumule par ailleurs, je passe mes vacances avec des enfants difficiles, turbulents et perturbés, qui ne sont même pas les miens et je fais du mieux que je peux avec les moyens que j’ai mais je ne suis pas un roc, je ne suis pas psy, je suis sensible et fragile. L’année dernière quand la nounou est partie je suis restée à ses cotés même si je savais la quiétude de nos vacances partiellement compromise et cette année j’ai fait mon maximum mais les crises de nerfs à répétition de Sarah, toutes les nuits, sont trop dures à supporter nerveusement pour moi qui suis déjà fragilisée par ma situation depuis la rupture avec mon mari.

Je fais mon maximum, je l’ai prouvé cent fois, je ne plains jamais et lorsque je suis nerveusement à bout de force, au lieu de le remarquer et se montrer compréhensif, David m’accuse au contraire de me conduire en égoïste, c’est injuste, il est ingrat et finalement il ne pense qu’à lui, j’en viens à me demander s’il m’aime vraiment.

Nous voyons bien ici que, du probable point de vue de Chloé, c’est David qui “n’assure pas”. En effet, ce sont bien ses enfants à lui qui sont la source du stress pendant les vacances, Chloé n’est pas leur mère et pourtant elle s’implique dans cette famille depuis des années. Elle aussi a ses problèmes et David, qui les connait, semble en faire abstraction quand il lui reproche de ne penser qu’à elle.

Les perceptions des deux acteurs du conflit par rapport à une même situation ont des chances d’être non seulement opposées mais qui plus est, vu de son côté de mur, chacun a raison dans sa logique.

Lorsque j’ai expliqué à David la probable perception de Chloé, il s’est effectivement rendu compte qu’il avait complètement fait l’impasse sur la façon dont Chloé pouvait voir les choses et l’impact que ses reproches avaient pu avoir sur elle; blessants et destructeurs.

ll a compris que Chloé avait sans doute fait son maximum et que c’est lui qui, malgré la fatigue et le stress de la situation, aurait du la soutenir, la retenir et non lui reprocher l’inverse et la laisser partir. Il a compris que malgré l’amour total de Chloé, celle-ci était fragile, c’est d’ailleurs cette fragilité, cette sensibilité qui a séduit David au départ. Comment pourrait-il alors reprocher à celle qu’il aime, un trait de caractère - la sensibilité - qui a justement été à l’origine de son amour. On ne peut pas être à la fois sensible et super résistant au stress.

David, lui, est rompu à la gestion du stress, c’est un homme d’affaire qui travaille dans le secteur bancaire, il a l’habitude de recevoir des coups, d’accuser un krach boursier, etc... De plus c’est un homme et il est évident qu’hommes et femmes n’ont pas la même résistance physique et mentale. Iriez-vous reprocher à votre femme de vous laisser porter 15 kilos de sacs de courses quand elle n’en porte que 5 ? Evidemment non. Si vous aviez voulu avoir un “musclor” pour conjoint vous auriez épousé une body-buildeuse ou un homme. Chacun fait à la mesure de ses moyens et on ne peut décemment pas comparer les moyens d’un homme et ceux d’une femme sur une même échelle.

David s’est dit “si la situation avec été inversée, si c’est elle qui avait eu besoin de moi, je n’aurais pas claqué la porte”. Mais en faisant cela, il a pensé comme un homme au lieu de penser comme une femme, il a manqué d’empathie. Il aurait du se dire “Si j’étais une femme, dans cette situation, avec ma fragilité et mes faiblesses, aurais-je pu faire autrement ?” Une fois qu’il s’en est aperçu, grâce à notre discussion, tout a été plus clair pour lui et il s’en voulait même maintenant d’avoir agi de façon aussi brutale et aveugle.

Résolution du conflit :
Les origines réelles du conflit étant connues et le travail d’empathie ayant été fait, comment parvenir à la résolution ? Tout bonnement en montrant à l’autre que l’on est sensible et conscient de la façon dont il perçoit les choses, qu’on l’a compris(e) et ainsi s’attaquer ensemble (et non l’un l’autre) à la vraie cause du problème.

Concrètement, j’ai suggéré à David de tenir un discours “empathique” à Chloé en lui expliquant qu’il se rendait compte des efforts qu’elle faisait pour lui, du soutient qu’elle lui prodiguait, qu’il n’allait pas lui en demander plus, largement reconnaissant déjà qu’il était de tout ce qu’elle pouvait lui apporter, qu’il était désolé si il lui avait donné l’impression que ce qu’elle faisait ne comptait pas ou n’était pas suffisant. Qu’il l’aimait profondément avec ses forces et ses faiblesses, sa sensibilité et sa fragilité et qu’il se sentait bien bête aujourd’hui d’avoir osé lui reprocher de n’être pas assez forte pour le soutenir dans une situation pour laquelle en plus elle n’était en rien responsable (départ de la nounou, déséquilibre de ses filles).

Je lui ai conseillé ensuite de rassurer Chloé en abordant les causes réelles à l’origine du conflit : leurs situations respectives et proposer des solutions concrètes.

Normalement le divorce de David doit être prononcé dans les semaines à venir et il va pouvoir s’installer provisoirement en Hollande le temps que Chloé règle ses affaires. Quand à Chloé, elle va pouvoir enfin liquider sa société rapidement dans de bonnes conditions et ne sera plus obligée de rester “collée” à son ex-mari et dès que cela sera fait, elle pourra enfin venir s’installer en Suisse avec David (car les filles sont scolarisées là-bas). Que, dès la rentrée il allait faire appel à un psy pour enfant qui prendra en charge sérieusement les soucis de comportement de sa fille afin que ceux-ci ne pèsent plus sur Chloé à l’avenir. Enfin, en ce qui concerne le reste de leurs vacances, David va assurer à Chloé qu’il ne lui imposera plus les crises de Sarah et qu’il va se débrouiller pour lui épargner ce stress (notamment la nuit quand Sarah pique des crises) en lui trouvant un autre endroit pour dormir et ne se retrouver qu’en journée quand les enfants sont calmes pour réussir à bien finir leur séjour en Espagne.

Résultat :
Quelques jours plus tard j’ai envoyé à David un petit SMS pour m’enquérir de la situation et voilà le message que je reçu en retour (que je vous livre au mot près).

“Tu ne peux pas savoir combien je te suis reconnaissant de tes conseils. Chloé est revenue le surlendemain et tout va bien mieux depuis même si les enfants sont toujours aussi stressants. Bcp d’autres choses à te raconter, je t’appellerai prochainement et espère te revoir bientôt. Bises et toutes mes amitiés”.

Depuis ce message et au moment où j’écris ces lignes je n’ai pas eu l’occasion de lui parler mais à priori, ce conflit semble résolu et la situation à nouveau au beau fixe. Je suis heureux pour eux.



V - CONCLUSION


L’histoire que je viens de relater me semble exemplaire. Elle démontre que malgré la meilleure bonne volonté et sentiments du monde, si nous ne faisons pas un travail d’analyse correct, associé à de l’empathie et une bonne dose de communication, tout problème conflictuel ne trouvera d’issue que dans la fuite ou la violence. A terme, c’est la porte ouverte aux malentendus, au ressentiment et, en définitive, à la rupture.

On ne peut qu’en vouloir à l’autre lorsqu’on a l’impression qu’on fait tout bien et que l’autre semble, soit ne pas s’en apercevoir en ne montrant aucune reconnaissance, soit ne semble faire aucun effort tout court. C’est parfois le cas aussi mais avant de porter un jugement définitif il est nécessaire de se poser beaucoup de questions et, d’après moi, toujours accorder le bénéfice du doute en partant du principe que l’autre n’a pas vraiment de raison de vous faire de tort ou de pourrir la relation, et que, par conséquent, si quelque chose semble ne pas tourner rond, la cause doit être ailleurs (malentendu, mis-communication, quiproquo, incompréhensions, etc...) c’est bien là que l’empathie se montre fondamentale.

Résoudre un conflit pacifiquement ne dépend donc pas juste de la volonté mais aussi et surtout de la façon de s’y prendre et de notre capacité à comprendre l’autre au delà des apparences, au delà des situations. En saisissant l’autre dans sa globalité et pas seulement dans l’instant, en analysant les faits dans toute leur histoire et pas seulement dans la situation.