Préambule

Je débuterai ce billet par une petite anecdote remontant à un mois de juin d'il y a quelques années :

Lors d’une soirée à Paris je fais connaissance d’une jeune femme, mère célibataire d’un peu moins de 30 ans, plutôt jolie, assez distinguée et qui semblait raffinée. Nous discutons un peu, échangeons nos numéros et décidons de nous revoir quelques semaines plus tard après pas mal de temps passé en échanges téléphoniques tout à fait sympathiques.

Je vais la chercher et la conduis du coté de Saint Germain des Près où j’aime à me balader l’été. Après une bonne heure agréable à rire et à discuter sur une terrasse de la place Saint André des Arts (pas loin de la cathédrale Notre-Dame de Paris) je lui propose, si elle le souhaite, d'aller dîner. Elle accepte avec grand plaisir et je fais signe au garçon d’apporter l’addition. Elle avait commandé une coupe de Champagne et moi un jus de fruit.

A ma grande surprise, à peine l’addition demandée, la demoiselle se lève et va m’attendre à quelques mètres de là, dans la rue, me laissant donc seul avec la note qui arrive !!! Je paye (ce que je comptais faire de toutes façons) et ne dis rien. Nous marchons 5 minutes pour nous rendre à mon restaurant, et pas une seule fois durant ce trajet, elle ne me remercie pour la coupe que je viens de lui offrir (bien malgré moi).

Cela me met déjà la puce à l’oreille.

Nous allons dans une crêperie délicieuse de la rue Saint André des Arts et passons deux heures vraiment charmantes à discuter de tout, à plaisanter. Le courant passe clairement entre nous, entre regards et sourires, la séduction opère.

Arrivé le moment de l’addition (2 crêpes et deux glaces, autant dire pas plus de 20 euros), à nouveau, je constate que la demoiselle attend que je sorte un billet. Je fais comme si de rien n’était et lui demande sciemment de partager, sachant parfaitement à quelle réaction m’attendre étant donné l’épisode de première partie de soirée. Lorsque je lui apprends donc qu’on partage, elle fait une tête qui n’est pas différente de celle que n’importe qui aurait pu faire si j’avais sorti et posé mon sexe sur la table en pleine salle!

Elle, quasiment dégoûtée : "On partage ?" et sur un ton du genre - et bien tu vas le regretter - poursuit avec "OK, on partage !" puis s’exécute et pose 10 euros sur la table, j’en fais de même et nous sortons du restaurant. Et là, laissez moi vous livrer le dialogue tel qu'il fût :

Elle : “je ne comprends pas pourquoi tu as agis comme ça, ton attitude a tout gâché”.

Je m’étonne et l’interroge faisant mine de ne pas comprendre : “Ah bon ? J’ai dit quelque chose qui t’a déplu, tu ne m’as pas trouvé intéressant ou drôle dans mes propos, tu t’es ennuyée, ma personnalité ne te plaît pas, je ne t’attire pas physiquement, j’ai eu un geste déplacé envers toi ?”.

Elle : “non pas du tout, tout est bien mais ça m’a choqué que tu me demandes de partager l’addition et je trouve que c’est un manque d’éducation et de galanterie de demander à une femme de payer, on ne m’a pas élevé comme ça”.

Je m’empresse de lui rappeler que coté éducation elle n’a rien à dire puisque je n’ai pas encore entendu le moindre remerciement pour le verre que je lui ai offert en début de soirée. Elle s’excuse et pour sa défense m'assure qu’elle “comptait” bien me remercier “en bloc” pour tout à la fin.

Chouette : un “merci” en forfait, c’est nouveau, je ne connaissais pas !

Et elle termine en me disant (et là franchement c’était la cerise sur le gâteau ou devrais-je dire, la cerise sur la crêpe) : “c’est dommage parce que tu me plaisais vraiment et si tu n’avais pas eu cette “indélicatesse” j’aurai sans aucun doute terminé la soirée avec toi” (sous entendu, elle m’aurait fait la grâce de ses faveurs nocturnes)

Ni une ni deux, moi de conclure : “En bref, tu es train de me dire que ça n’est pas la personne que je suis et la soirée sympa qu'on a partagée qui t’auraient poussées à rester avec moi mais ma capacité à te payer une crêpe ??? En gros, si j'avais payé la crêpe tu aurais couché avec moi ! Et bien laisse moi te dire qu’une fille qui vend son cul pour une crêpe ça n’est pas trop mon genre” (j'ai été volontairement vulgaire parce qu'à mes oreilles, sa réflexion l'était au plus au point).

Je l’ai poliment raccompagnée à une station de métro et suis rentré chez moi, trop content d’avoir démasqué cette conne !

Autant vous dire que je savais parfaitement ce que je faisais et que j’avais anticipé sa réaction avant même de lui proposer de partager l’addition mais je préférais laisser tomber plutôt que de me dire que ma nouvelle copine ne valait pas mieux qu’une escort-girl (entre parenthèse, j’ai beaucoup de plus de respect pour les prostituées que pour le genre de fille que je viens de décrire).

Voilà pour l’anecdote, mais celle-ci a le mérite de poser la question sur ce qu’est la galanterie, ses limites et sa raison d’être.


I - QU'EST-CE QUE LA GALANTERIE ?

Commençons par étudier rapidement la définition de ce mot.

La galanterie est une forme de politesse pratiquée par un homme à l'égard d'une femme. Il se dit plus ordinairement des égards, des soins, des empressements pour les femmes qu’inspire l’envie de leur plaire. Il se dit également des propos flatteurs qu’on tient à une femme, des procédés qu’on emploie pour lui plaire, de cadeaux ingénieusement choisis, d’attentions délicates.

Ces égards, répondant souvent à des codes de savoir-vivre, sont essentiellement de 2 ordres : interpersonnels et matériels

a) La galanterie interpersonnelle et sa raison d'être :

Interpersonnelle signifiant : dans la relation de personne à personne. Ce type de galanterie est un mélange de politesse et d’attentions de l’homme envers la femme et s’exprime par des actes codés tels que :

- la complimenter sur son apparence et son esprit;
- tenir une porte à son passage;
- ne pas passer avant elle;
- la précéder avant d’entrer dans un lieu public ou au contraire la faire passer en premier en y sortant;
- la précéder systématiquement dans les escaliers (l’idée étant de ne pas risquer de voir ses dessous dans la montée, et de pouvoir la retenir si elle trébuchait dans la descente);
- lui ouvrir la portière de la voiture;
- lui offrir du feu si elle dégaine une cigarette;
- lui laisser la meilleure place à table (soit la plus confortable, soit celle disposant de la meilleure vue) et attendre qu'elle soit assise pour s'asseoir à son tour;
- dans la rue, ne pas la laisser marcher coté caniveau mais toujours coté immeubles;
- lui proposer sa veste si elle a froid;
etc, etc...

(pour ceux que ça intéresse, il existe des manuels de savoir vivre)

Dans tous les cas, il s’agit de faire preuve d’un maximum de respect et d’égards partant du principe que ces dames sont plus fragiles et sensibles que les hommes (ce qui est globalement vrai, et dans le contexte il s’agit de qualités) et par conséquent, c’est à l’homme de se montrer délicat, attentionné et prévenant. Ainsi, il démontre son aptitude à prendre soin de sa compagne, à la protéger, à la valoriser.

Même si ces codes peuvent paraître pour certains, un peu désuets, il n’en reste pas moins vrai que la nature de la femme demeure la même aujourd’hui que celle d'il y a 100 ans et que finalement, ils continuent à se justifier.

b) La galanterie matérielle

Celle-ci s’exprime par des attentions matérielles, c’est à dire pour être très clair, des cadeaux.

- Il est de bon ton d’offrir de temps en temps des fleurs à une femme;
- si elle fume, de lui proposer une cigarette;
- de l’inviter au restaurant ou à partager un verre qu’évidemment l’homme va payer;
etc, etc...

Penchons nous maintenant sur la raison d’être de ce type de galanterie.


II - RAISON D'ÊTRE DE LA GALANTERIE MATERIELLE

- Pourquoi semble-t-il “normal” que l'homme paye lorsqu’il est avec une femme ?
- Quelque chose justifierai-t-il un systématisme dans cet acte, tout comme il existe une raison au systématisme des marques d’attentions d’ordres inter-personnelles que j’ai développées plus haut ?


a) Un peu d'histoire

Pour répondre à la question il faut remonter le temps et comprendre quelle a été la position des femmes par rapport aux hommes pendant des siècles. Position qui n’a changée que très très récemment.

Depuis la nuit des temps jusqu’à environ la fin de la deuxième guerre mondiale, en occident, le statut légal et social des femmes était loin d'être enviable. Dans le Code Civil de Napoléon (1804), les femmes sont classées dans la même catégorie que les criminels, les malades mentaux et les enfants. Autrement dit, dans les faits, les femmes, mêmes adultes n'avaient pas plus de droit qu'une personne mineure et irresponsable.

La jeune fille quittait son père pour se marier, avec une dot (somme d’argent ou de biens que remettait la famille de la demoiselle à son futur mari afin de participer à son “entretien”). Et oui, il fallait entretenir une femme tout simplement parce qu’elle n’avait aucun moyen légal de s’entretenir toute seule. Pour le reste de sa vie, elle dépendrait de son mari pour tout et devrait lui demander la permission pour la moindre chose !

Et même si, dans certains milieux pauvres elles devaient travailler, les femmes étaient frappées d'incapacité juridique et par conséquent n’avaient ni le droit d’avoir un compte en banque, ni celui de signer de billets à ordre (les chèques d'aujourd'hui). La femme devait donc demander la “permission” à son mari pour le moindre achat, tout comme elle devait obtenir l'autorisation de son mari pour percevoir un salaire (qu'elle n'avait pas le droit de gérer évidemment). Il faudra attendre la réforme des régimes matrimoniaux en 1939, pour que les femmes mariées voient la suppression de l’incapacité juridique et puissent ouvrir un compte en banque (en théorie mais pas dans la pratique, car en réalité ce sera plutôt 1965 et 1985 pour obtenir l'égalité des époux dans les régimes matrimoniaux et dans la gestion des biens de la famille et des enfants).

Au début du siècle elles n’avaient pas le droit de conduire, et n’ont pu voter pour la première fois qu’en 1945 (ordonnance du 21 avril 1944) ! Pour l'accès à la contraception il a fallu attendre la fin des années soixante (1967) et en ce qui concerne du droit de disposer de leur propre corps, 1975 (loi Veil sur l'avortement).

La "réussite" sociale d’une femme tenait en sa capacité ou plutôt celle de son père de se trouver un “bon mari” et pas de faire de bonnes études. En général on ne les poussait pas plus loin que le certificat d’étude primaire (même pas le baccalauréat qui, pour mémoire, mis en place par Napoléon en 1908, n'a réellement été ouvert aux femmes qu'à partir de la création du baccalauréat féminin 11 ans plus tard). Quand aux études supérieures des femmes, c'était aussi le cadet des soucis des hommes (il faudra attendre 1938 avec la suppression de l'incapacité civile des femmes pour que celles-ci puissent s'inscrire à l'Université sans l'autorisation de leur mari).

Sachant cela, il est évident que si l’homme ne prenait pas SYSTÉMATIQUEMENT à sa charge les besoins matériels de sa femme (nourriture, habillement, sorties) la femme n’avait aucun moyen de le faire elle-même. Alors bien sûr, on a tous lu Zola et dans les villes au XIXème siècle, des femmes pouvaient travailler, mais il s’agissait de “petites gens” de personnes de basse classe (à l’époque où les classes étaient clairement définies). En revanche dans les milieux aisés, il était inconcevable qu’une femme travaillât et de ce fait, il était totalement NORMAL et LOGIQUE que l’homme payât pour tout, tout le temps.

C’est donc de là que vient la “tradition” ou l'habitude que les hommes payent "naturellement". Telle est la genèse de cette galanterie matérielle systématique et pourquoi elle se justifiait.


b) De nos jours

Sauf que si la nature de la femme n’a jamais changé et que se justifient encore les marques de respect et de savoir vivre, en revanche, sa situation et son statut se sont complètement et radicalement transformés depuis un siècle.

Les femmes ont durement lutté pour obtenir leur indépendance vis à vis des hommes, et même si nous n’en sommes toujours pas à l’égalité parfaite en matière de traitements et de salaires, il faut tout de même avouer que le fossé qui séparait les hommes des femmes s’est considérablement réduit et aujourd'hui ces dernières bénéficient des mêmes droits que les hommes..

Les femmes peuvent librement faire des études et réussissent aussi bien, sinon mieux que les hommes. Les femmes parviennent à des postes importants dans tous les milieux, affaires, sciences, administrations, politique, arts, ingénierie, finances, etc... Bien des femmes ont des revenus supérieurs à beaucoup d’hommes, nous ne reviendrons pas là dessus, tout cela est légitime et nous sommes tous d’accord pour considérer que les sociétés ou les cultures où la femme est toujours reléguée au rang d’esclave de l’homme et de pondeuse, où l’accès à l’éducation lui est refusé et son statut réduit à celui d’un enfant, sont des sociétés en retard (doux euphémisme).

Indépendance matérielle de la femme, très bien mais que cela implique-t-il ?

Cela implique que certains codes n’ont plus aucune raison d’être. En effet, comme je l’écrivais, les femmes jouissaient de certains "privilèges" du fait du statut que les hommes leur imposaient. Aujourd’hui le statut de femme-enfant/attardée/assistée est passé aux oubliettes mais il faudrait que les privilèges liés à un statut, que les femmes ont tout fait pour abolir (à raison), subsistent.

c’est purement et simplement une aberration.

C’est un peu comme de vouloir conserver les revenus de son assurance chômage alors qu’on a retrouvé du travail. Pour être plus trivial : vouloir le beurre et l’argent du beurre.

Il n’y a plus aucune raison valable pour justifier qu’aujourd’hui un homme paye tout à une femme. En disant cela, je ne dis pas qu’il ne faut pas avoir d’attentions matérielles pour quelqu’un qu’on apprécie, mais simplement que l’unilatéralité et le côté "naturel" ou "obligatoire" de cela est à la fois ridicule et infondé.

Le problème est que beaucoup de femmes, surtout celles issues de milieux moyens, prenant exemple sur leurs grand-mères (alors que la comparaison est impossible) considèrent encore comme un manque flagrant de galanterie, de savoir-vivre, d’éducation et de politesse de devoir partager une addition de temps en temps ou d’offrir carrément un repas une fois sur deux... ou même tout simplement de remercier lorsqu’un homme offre un repas, un verre, une place de cinéma, comme si c’était “normal” que monsieur dégaine son portefeuille à chaque fois qu'il sort avec madame.

Comme vous l'avez lu dans mon anecdote en préambule, je suis personnellement très choqué lorsqu’il s'agit de payer "de force" quelque chose dont on profite à deux. Je dis "de force" parce que certaines femmes n’esquissent pas le moindre geste vers leur sac, montrant clairement qu’elles attendent que l’homme mette sa carte bleue sur la table ou n'expriment pas la moindre gratitude lorsqu'on leur fait cadeau d'un repas.

En ce qui me concerne autant vous dire que lorsque ça arrive, certes je paye car j’en ai les moyens, mais plus du tout l’envie, et que la demoiselle n’aura plus jamais à profiter de mes largesses. Car un homme peut être généreux sans être un dindon.

Cela dit, j’ai aussi remarqué que les femmes issues de familles qui n’ont pu connaître “les hommes entretenant les femmes”, ou celles dont les mères gagnent beaucoup d’argent n’ont pas du tout cette attitude. Mais cela ne représente environ que deux femmes sur trois (ce qui n’est déjà pas si mal finalement).


III - CONCLUSION

Si j’étais une femme, il me semble évident que je ferais attention aux détails pour juger de la qualité d’un homme et notamment sa façon de me traiter, les égards qu’il aurait pour moi, le respect dont il saurait faire preuve à mon endroit. En revanche, il ne me viendrait pas à l’idée de le considérer comme “pas intéressant” juste parce qu’il ne payerait pas systématiquement tout. Qui plus est, je me ferais un devoir de lui signifier ma capacité à m'assumer en lui proposant toujours de partager, sans pour autant refuser ses attentions matérielles, assumant ainsi mon indépendance.

Les traditions ont du bon, surtout lorsque celles-ci sont faites pour améliorer les relations entre les personnes. Néanmoins, il ne faut pas tout mélanger, il ne faut pas considérer comme "normal" quelque chose qui n'a plus de raison d'être sinon d'avoir un jour existé, pour des raisons que la plupart des femmes ignorent d'ailleurs, sans doute pour ne jamais s'être posée la question.